A quoi ça sert un hacker ?

By 4 septembre 2014 Articles No Comments

Ce soir, mercredi 3 septembre, sera projeté à la Bellevilloise mon film « Les Gardiens du Nouveau Monde » (extrait disponible ici) qui s’intéresse aux communautés hackers-hacktivistes. Dès le lendemain, il sera en ligne sur le site de Médiapart (disponible ici). Il y a bientôt 3 ans, j’écrivais les premières lignes de présentation du projet de film. A cette époque, les printemps arabes étaient encore riches de promesses, Julian Assange et Wikileaks venaient de réaliser leur premier faits d’armes…

 

De mon côté, je collaborais depuis déjà de nombreuses années avec une ONG créée il y a plus de 90 ans, la FIDH, Fédération Internationales des Ligues des Droits de l’Homme. En parcourant les couloirs de l’organisation, je commençais à découvrir de nouvelles têtes autour du bureau de Nicolas Diaz (DSI/Webmaster FIDH). On y entendait parler de « Télécomix », « GNU », « Tor »,… Des profils de militants d’un nouveau genre commençaient à fréquenter les lieux : tee-shirt large, cheveux longs, ordinateurs bariolés de stickers. Ça parlait de reconnecter Internet en Egypte, d’aider les militants syriens, tunisiens, à communiquer anonymement. C’est ainsi que j’ai découvert le milieu hacker, ses convergences avec les organisations militantes plus traditionnelles.

 

Lentement, la figure du hacker commençait à être perçue différemment auprès du grand public. L’image du voleur de numéro de carte bleu laissait petit à petit la place à celle du résistant sur Internet (dont on redécouvrait enfin qu’il en était même un peu le créateur). Mais entre ces deux visions diamétralement opposées, où se situait la définition du hacker ? C’est une question qui est revenu sans cesse tout au long du tournage de mon film. Je me rappelle notamment d’un échange avec un inconnu lors du festival hacker OHM en 2013 : « Si ton boulanger tue une personne, alors on ne dira pas que les boulangers sont des criminels. Et bien pour les hackers il faut faire de même. Quelqu’un pris en train de réaliser un acte criminel en utilisant de la programmation informatique, ce n’est pas un hacker, c’est un bandit, point ! »

 

Ranger des individus dans des définitions, des cases, peut s’avérer très souvent maladroit, simpliste. J’aime cependant retenir deux définitions du hacker. La première se réfère à l’univers informatique. Un hacker, c’est avant tout une personne qui travaille sur de la programmation informatique. Mais le mot « travail » ne convient pas, il faudrait davantage parler de « bidouille », de « détournement ». Dans l’esprit hacker, la technologie, cela se déconstruit, se reconstruit. On démonte une machine puis on la remonte pour lui retrouver un nouvel usage qui ne lui était pas défini à la base.

De cette première définition, j’en viens à une seconde, que j’apprécie et qui me rend admiratif de cette culture : un hacker c’est avant tout un individu curieux. Curieux de comprendre, déconstruire, remettre en question la technologie, les systèmes, le fonctionnement du monde, etc.

 

Et c’est ici que commence véritablement mon attrait pour l’univers hacker. Car si je me suis intéressé à cette contre culture, ce n’est pas pour y voir un mouvement révolutionnaire qui pourrait changer le monde (il y a souvent des débats à ce sujet comme par exemple ici ou ici ), mais bien plus pour sa capacité à infuser ses valeurs dans le reste de la société.

 

Au centre du fonctionnement hacker, il y a le logiciel libre, la culture du partage, de la collaboration, la volonté de faire des choses et de rester dans le concret. Dans son ouvrage « La Démocratie Internet », le sociologue Dominique Cardon analyse comment Internet s’est créée en suivant les valeurs issue de la culture hacker, en s’appuyant sur des principes fondamentaux tels que la présupposition d’égalité (illustrée par une analyse des mécanismes de contribution à Wikipédia), la force des liens faibles, l’auto-organisation, la libération des subjectivités, la coopération, la délibération qui aboutit au consensus dans la prise de décision, etc…

 

Les communautés hackers que j’ai rencontré réfléchissent à la sauvegarde de la neutralité du net (quelques explicatin du concept ici et ici), à la promotion des logiciels libres, à l’anonymisation des communications, la sauvegarde de la vie privé… Ce sont des combats nécessaires à la bonne marche de nos démocraties, mais les hackers ne peuvent s’y attaquer seuls. Ce qui importe alors, c’est avant tout la capacité de ces communautés à infuser leurs idées au sein de la société. Des personnalités comme Snowden, Manning, Assanges, au-delà de leur coup d’éclat, ne feront jamais plier un gouvernement, une multinationale. Elles nous interrogent en revanche nous, utilisateurs connectés­ : Souhaitons nous conserver un Internet libre et neutre ? Avons-nous conscience de la mise à nue numérique de notre vie privée (si vous voulez flipper un peu c’est ici) ? Avons-nous une idée de comment fonctionnent les algorithmes qui régissent nos usages sur Internet ? Les questions posées ainsi dépassent le cadre de la technologie. Nous sommes ici évidemment dans le champs du politique, du vivre ensemble.

 

Les hackers doivent nous aider à devenir plus sensibles aux questions de société liées au numérique, à notre rapport à la technologie et à la confiance que nous souhaitons accorder aux acteurs qui la développent (un exemple “people et actu” très concret avec le Celebgate et les problème du Icloud d’Apple). Ils nous forcent à garder en tête une question que formulait l’écrivain de science-fiction Alain Damasio dans un entretien il y a quelques mois: Jusqu’où allons nous accepter de céder de notre liberté, de notre vie privée, pour plus de sécurité et de confort technologique ?

 

Pour ceux qui nous ferons le plaisir de venir à la soirée projection/débat de ce soir, voilà quelques questionnements bien denses sur lesquels nous pourrons échanger ! Et pour ceux qui ne pourront pas venir, venez vous tenir au courant de l’actu du film ici)

 

(NB : j’ai écris cet article en premier lieu sur le blog Médiapart de mon producteur Les Films d’Un Jour, consultable ici )