Ma nouvelle aventure docu : “Les Premiers Reflets des Pupilles”

By 6 décembre 2014 Articles No Comments

Après le football sur le continent africain, après les hackerspaces d’europe et du monde arabe, j’ouvre une nouvelle page de mon cheminement documentaire : une école primaire à Bordeaux, une classe de CE2-CM1 qui suit un enseignement “Freinet”.

Pour m’accompagner dans ce nouveau voyage, la société Dublin Film produit le projet. J’ai commencé à tourner mes premières images ce mois-ci. Je vais suivre cette classe jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Cela fait bientôt deux ans que je réfléchis à un tel projet autour d’une classe freinet. Je vous laisse découvrir ci-dessous ce qui m’a amené à me pencher sur ce sujet.

* Tout d’abord, un résumé du film tel que je l’imagine pour le moment

« Les premiers reflets des pupilles » raconte l’histoire d’une classe de primaire qui, le temps d’une année scolaire, va créer et jouer un spectacle de théâtre. Cette classe se trouve au sein de l’école Deyries à Bordeaux. Son instituteur, Daniel Chazelas, y enseigne en suivant la pédagogie Freinet et propose ainsi aux enfants un cadre éducatif original favorisant l’autonomie de chacun et le travail collaboratif.

Le défi du spectacle est de taille pour les enfants comme pour leur instituteur. Mais pour ce dernier, qui enseigne depuis 40 ans selon les principes Freinet, les enjeux restent inchangés : comment les enfants vont apprendre à développer, ensemble, leurs regards singuliers sur le monde ? Comment construire un collectif, une classe, à partir d’une somme d’individus en devenir ?

A une époque où la technologie a définitivement connecté les hommes et les savoirs, « Les premiers reflets des pupilles » souligne le rôle que l’école doit tenir, celui d’un espace de création d’esprits curieux, critiques, désireux de s’accomplir au sein de la collectivité.


* Freinet, une pédagogie plus que jamais moderne

En 2016, nous célèbrerons le 50e anniversaire de la disparition de Célestin Freinet. Tout au long de sa vie, cet instituteur du Sud de la France s’est battu pour un enseignement pédagogique qui favorise chez les enfants l’autonomie, l’expression libre et la collaboration. Il développa ainsi des outils et exercices innovants où les enfants étaient amenés à réaliser des textes libres, des enquêtes de terrain, des correspondances inter-scolaires, et même utiliser l’imprimerie pour mettre en forme leurs productions écrites.

Au fil de sa carrière d’instituteur, Célestin Freinet a su fédérer autour de sa méthode pédagogique un réseau international d’enseignants qui se perpétue de nos jours notamment via le Mouvement de l’Ecole Moderne. Presque un siècle après sa création, on estime qu’environ 3.000 enseignants pratiquent la pédagogie Freinet en France (ref « le Nouvel Educateur », n°153) et plus de 700 établissements scolaires se réclament de ce type d’enseignement.

Aujourd’hui, dans une société où la technologie a définitivement fini de connecter les hommes, l’accès au savoir n’est plus un obstacle. Au milieu du flot d’information et de connaissance qui nous submerge au quotidien, ce n’est plus notre capacité à mémoriser qui devient vitale, mais bien plus notre faculté à faire preuve de discernement, de recul, d’esprit critique. Et si ces évolutions autant technologiques que sociétales peuvent nous intimider, il nous faut toujours garder en tête que les réponses que nous devront y apporter s’élaborent de manière coopérative. Elles seront le fruit de la force de notre intelligence collective. L’enseignement Freinet s’attache à mettre au centre du développement de chaque enfant cette démarche d’apprentissage et nous rappelle ainsi l’intacte modernité de cette pédagogie. Un siècle après son élaboration, la vision pédagogique de Célestin Freinet se révèle aujourd’hui plus que jamais d’une grande modernité.


* Ma rencontre avec une classe de CE2-CM1

L’écriture de ce projet de film documentaire arrive à un moment de mon parcours personnel bien particulier : la naissance de mon premier enfant. Certaines questions deviennent alors incontournables. Comment je souhaite aider ma fille à grandir, à s’épanouir, et à vivre avec les autres ? La découverte de la pédagogie Freinet est ainsi venue naturellement nourrir ma réflexion de jeune père.

D’autre part, en rédigeant le dossier de présentation du projet, je me suis aussi rendu compte qu’il y avait une continuité avec mon précédent film documentaire, pourtant à première vue bien éloigné de mon sujet : le monde des hackers et des réseaux informatiques. Le film s’intitule « Les gardiens du nouveau monde » . J’y propose une plongée au cœur de l’univers de ces bidouilleurs informaticiens, de leur vision du monde curieuse, débrouillarde et libertaire. Je réalise désormais que la culture hacker se nourrit de valeurs très proches de celles de la la pédagogie Freinet : les hackers défendent la création d’outils informatiques libres, ouverts à tous, qui se construisent de manière collaborative et dont les mises à jour permanentes, réalisées par la communauté, bénéficient à toute la communauté. Je suis devenu admiratif de ces communautés de passionnés qui, au delà de leur apprentissage souvent autodidacte, questionnent, déconstruisent, et développent une pensée critique de la technologie.
Dans l’univers « hacker », comme dans l’univers « Freinet », je suis attiré par ces espaces qui offrent à chaque fois ce même terrain propice au développement d’une pensée critique, joyeuse, créatrice de libre arbitre et d’humanité.

Ces étapes de mon parcours personnel ont certainement dû me mettre la puce à l’oreille le jour où ma sœur, jeune institutrice, nous raconta lors d’un repas de famille sa rencontre avec un confrère qui allait bientôt devenir son « mentor » : Daniel Chazelas. Un instituteur qui enseigne depuis plus de quarante ans en suivant les principes de la pédagogie Freinet.

Quelques semaines avant les grandes vacances de l’été 2014, j’ai rencontré Daniel dans sa classe à la fin d’une journée de cours. Elle est située au sein de l’école publique Deyries à Bordeaux. Un établissement scolaire installé dans le quartier de Saint Nicolas. Il s’agit d’une zone relativement favorisée, mais qui conserve tout de même une certaine mixité sociale.
Vingt minutes après mon arrivée dans sa classe, Daniel n’avait toujours pas pensé à m’inviter à m’asseoir. Nous étions debout, face à face. L’instituteur m’avait déjà embarqué dans les innombrables projets de ses élèves. L’urgence du moment, c’était la tombola de l’école. Les enfants espéraient vendre suffisamment de dessins, sculptures, poteries et autres créations d’arts plastiques faites maison, pour financer leur future sortie scolaire : un voyage de trois jours à vélo en autonomie complète. Les enfants avaient choisi eux-mêmes le trajet et organisé toute la logistique de l’aventure. Tout était prêt pour le mois de juin, mais il fallait maintenant boucler le budget et donc la tombola…

L’instituteur m’écouta enfin lui expliquer mon souhait de partager le quotidien d’une « classe Freinet » durant une année scolaire, de raconter son fonctionnement. Daniel pensait déjà aux projets qu’il aimerait réaliser avec les enfants à la prochaine rentrée. Nous avons alors imaginé une aventure autour de la création d’un spectacle de théâtre par les élèves. Cette discussion informelle allait se révéler bien plus concrète que nous aurions pu le penser. J’ai expliqué à Daniel comment je souhaitais devenir un élément familier de la classe et mettre mon objectif à hauteur d’enfant. Daniel était convaincu que placer une caméra au cœur de sa classe susciterait la curiosité et l’énergie des enfants. De plus, au vu des ambitieux projets pédagogiques qu’il avait déjà mis en place durant toute sa carrière, organiser un spectacle de théâtre lui paraissait une nouvelle aventure dans la continuité des précédentes.

Daniel m’expliqua que pour les élèves, raconter des histoires c’est entrer pleinement dans leur processus d’apprentissage et d’émancipation. Inventer des situations, des personnages, c’est un moyen de se projeter au travers de héros et d’aventures extraordinaires. C’est proposer aux autres sa vision du monde. C’est aussi s’affirmer et affirmer sa place au sein de la collectivité. La notion d’histoire renvoie au plaisir d’être ensemble. Et moi, j’aime cette idée que l’être humain a besoin d’une histoire pour se dire qu’il est en train de faire quelque chose avec l’autre.